Le 8 mars était la journée internationale de la femme. L'occasion de s'intéresser à la place des femmes dans le micronationalisme. Nous avons donné la parole à plusieurs d'entre elles pour entendre leur point de vue sur ce sujet.
Les micronationalistes fondent leurs nations sur leurs propres idéaux. Chacun essaie de créer sa société parfaite. Dans cette création foisonnante, les femmes participent-elles plus facilement au micro-monde ? Les us et coutumes de nos sociétés sont-elles vraiment remises en question ou conservent-elles un patriarcat prononcé ?
Les réponses des femmes micronationalistes que nous avons interrogé sont finalement tout aussi nuancées qu'en dehors de la sphère micronationale. Certaines construisent des sociétés matriarcales tandis que d'autres comptent sur leur contribution en tant qu'épouses
partageant un destin commun. En tout cas, celles qui décident d'agir le font selon leurs conceptions tout autant que les hommes.
Cependant, elles sont encore très peu nombreuses à diriger une micronation, quel que soit le contexte culturel dans lequel elles évoluent. Dans des pays latins (et réputés machistes) comme la France, l'ancienne présidente Georgette Bertin-Pourchet du Saugeais était la seule femme chef d'État d'une micronation française, aujourd'hui c'est un homme qui lui succède. En Italie, la princesse Mina de Seborga fait exception, ayant remporté les élections face à la fille du prince Giorgio Ier.
Du côté anglo-saxon, la reine Anastasia de Ruritanie et la reine Carolyn de Ladonie sont des pionnières. Elles ont gagné leurs places au panthéon des grandes dirigeantes micronationalistes grâce à leur détermination, tandis que d'autres célébrités féminines du micronationalisme conservent leurs champs d'action dans des schémas de couple traditionnels. Elles font équipe avec leurs maris à la tête de leur micronation. C'est le cas d'Adrianne Baugh, première dame de la République de Molossia ou de la princesse Edith de Homestead, pour n'en citer que quelques-unes parmi tant d'autres.
Parmi les plus jeunes d'entre elles, certaines tendent à s'éloigner des schémas traditionnels, fondant des sociétés matriarcales où les hommes se retrouvent éloignés des fonctions régaliennes. C'est le cas du maréchal Carolyn Yagjian d'Obsidia.
Adrianne Baugh est sans aucun doute la Première Dame la plus connue du monde Micronational. Depuis 2009, elle accompagne la destinée du président Kevin Baugh de Molossie. Nous lui avons demandé comment elle avait contribué à la Molossie depuis qu'elle en est devenue la Première Dame. Voici ce qu'elle dit :
" Je suis devenue la Première Dame de Molossie en 2009. Depuis lors, j'ai aidé le président dans de nombreux projets et je donne des compte-rendus sur les décisions prises pour notre pays. En 2013, nous avons lancé notre journal, The Mustang. Chaque mois depuis neuf ans, je rédige un article sincère pour créer une connexion avec nos lecteurs. J'enregistre également une version parlée des nouvelles sur notre émission de radio et j'assiste le président dans des interviews et des vidéos. L'un de mes aspects préférés dans mes fonctions pour la Molossie sont les interviews vidéo pour les écoles. Nous avons participé à de nombreuses activités où les enfants peuvent se faire une idée de ce qui fait un pays pour stimuler leur imagination et leur créativité. J'aime aussi être un modèle pour notre fille, le chef de la police, et pour de nombreuses autres jeunes femmes qui nous observent. Leur montrer que nous pouvons suivre notre passion et prendre en charge notre propre vie est si important dans un monde avec une telle pression sociale. Les micronations et leurs citoyens vivent un mode de vie alternatif qui intrigue et inspire les autres. Il faut de la fierté et du courage pour mener la charge de cette manière. Je l'accepte quotidiennement, avec honneur. "
Comme Adrianne Baugh, de nombreuses femmes suivent leurs maris dans leurs projets micronationaux, mais toutes ne sont pas aussi engagées comme la première dame molossienne. Une grande partie acceptent avec bienveillance de jouer un rôle figuratif de soutien moral à leurs époux bien-aimés. Pourquoi la majorité de ces femmes ne veulent-elles pas prendre plus de pouvoir ? Est-ce que cela vient des hommes avec qui elles vivent ou est-ce en raison d'une nature particulière ? Sa Majesté, la Reine Anastasia de Ruritanie répond à ces questions :
" Oui, je pense qu'il y a une raison. Mais cela a plus à voir avec la façon dont les femmes sont élevées. Le monde micronational est très respectueux des femmes dirigeantes. Non, le problème, je pense, c'est qu'aujourd'hui encore, les filles sont élevées pour prendre la deuxième place dans la vie. Beaucoup le font à leurs filles sans même s'en rendre compte et oui, cela continue. Toujours trop peu de parents voient vraiment le même potentiel chez les filles que chez les garçons. J'ai eu de la chance. Ma famille n'a eu que des filles pendant plusieurs générations et mon père et mes oncles nous adoraient. Nous avons grandi sans restrictions. Je soupçonne que la reine Carolyn de Ladonie ait un passé similaire. Ma personnalité historique préférée a toujours été Aliénor d'Aquitaine, mais la plupart des femmes que je connais auraient probablement nommé Clara Barton ou peut-être la reine Victoria. C'est aussi bien mais elles suivaient tout de même leurs maris malgré leurs positions. En fin de compte, j'ai choisi d'épouser un homme qui respectait mon esprit et mon point de vue. C'est très rare. "
Interrogée sur ces mêmes questions, la maréchale Carolyn Yagjian, dirigeante d'Obsidia et pionnière du micronationalisme matriarcal, explique son point de vue et son expérience. Nous en avons alors profité pour lui poser quelques questions supplémentaires.
M.I : La vérité est que très peu de femmes sont des dirigeantes ou des fondatrices micronationales par rapport aux hommes. Selon vous, quelle en est la raison principale ?
CY : "Je pense que la principale raison à cela est que les femmes ne sont toujours pas positionnées socialement pour vraiment s'intéresser à la politique et à l'éducation civique. De plus, les micronations sont une niche très particulière qui n'attire qu'un certain type d'illuminés. Quoi qu'il en soit, cet univers n'est pas toujours considéré comme " cool " au premier abord et je crois que les femmes craignent d'être davantage prisonnières d'une image qu'elle pourrait véhiculer, en particulier les adolescentes. "
M.I : L'Obsidia est la micronation phare du féminisme, comment est-elle perçue dans la sphère micronationale ?
CY : " Je pense que nous sommes perçus comme faisant les choses un peu différemment et j'espère que nous faisons les choses avec autant de style que de pertinence. Les gens que j'ai rencontrés dans le monde des micronations ont tous été très favorables et enthousiastes à propos d'Obsidia, ce qui m'encourage vraiment à continuer le projet."
M.I : En quoi une société matriarcale peut-elle faire une différence ?
C.Y: " Le matriarcat dans notre contexte peut aider à servir de contrepoid aux structures de pouvoir existantes. Nous ne sommes pas dans le camp de la simplicité excessive, c'est-à-dire que je ne crois pas que la nomination d'une femme à tous les postes de direction résoudrait immédiatement les problèmes du monde. Mais les femmes ne représentent pas actuellement une majorité suffisante pour vraiment voir le potentiel de ce à quoi cela pourrait ressembler. En plus d'être matriarcaux, nous sommes également contre les États en général et pour la dissolution des frontières, la révolution écologique et l'élimination des inégalités de richesse. Le matriarcat est un élément d'une plus grande vision. "
En Librazi, une nouvelle micronation au Brésil, Sa Majesté la reine Juliana I suit la ligne de pensée du maréchal Carolyn Yagjian. Elle développe également son projet autour d'un concept matriarcal. Lorsqu'on lui demande ce qui l'a motivée à créer son Royaume, elle répond : « Ma plus grande motivation dans la création du Royaume Librazi était l'idée de créer une nation matriarcale, écologique, sûre, juste et égalitaire. Un lieu exempt de préjugés où tout le monde est considéré comme égal . Mes inspirations sont les anciennes civilisations matriarcales et aussi les cultures des Balkans, en particulier la Turquie, la Grèce et l'Albanie."
Si le Micronationalisme reste encore un monde d'hommes, il est important de préciser qu'il est aussi un espace de création où les femmes peuvent facilement prendre la place qu'elles souhaitent sans attendre l'approbation du sexe masculin. Le plus important est qu'elles puissent le faire avec la conviction de pouvoir choisir leur place. Non pas parce que les hommes le leur concèdent de manière plus ou moins sous-jacente, mais parce que le micronationalisme leur en donne pleinement le droit.
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